Textes de fin de résidence

Le dimanche 13 septembre 2020, après avoir passé 4 jours en résidence au glacier de la Girose, nous avons effectué une performance sur le glacier à l’issu de laquelle chaque personne du collectif a dit un texte. Ces textes expriment à la fois nos troubles devant la disparition du glacier de la Girose mais aussi nos désirs de revenir et continuer notre exploration, nos expérimentations, nos recherches.
Les textes sont publiés par ordre alphabétique des personnes. La contribution de Natacha Boutkévitch est à retrouvée en vidéo.

d’années en sillons
espace sentinelle
envouté de tes voutes
glisser avec toi
palper tes respirations
écouler le temps
être blanc
être froid
être neige et eau
être cinétique
dans une immobilité de surface
faire masse
soumis à l’entropie
ensembles
mortels
ensembles
vivants
ensembles

Laurent Chanel

Retrait,
perte de masse,
fuite en arrière,
alors que tu as disparu de la vallée, abrasée, des millénaires durant,
ta présence reste
latente.
Venir sur ta peau striée,
épaisseur de ton épiderme.
Albédo.
Faire fondre sous la langue cette eau jadis tombée,
mémoire liquide, avaler,
isotherme 0°C.
Paléo atmosphère englaciée,
fusion eau,
abreuve cellules,
esprit,
échange, amalgame
des matières,
nous hybridons nos atomes.
Le chant remonte à la surface,
du lointain
inspire,
poumons, air,
cordes vibratoires chargées du souffle
libèrent ondes
sonnent HORS,
le chant
emplit l’espace de la montagne
prend appui aux confins
pénètre crevasses
profondément loin dans ta matière,
en cette endroit secret où naissent
mythes et rêves
d’un corps,
accord,
nous en sortirons tous vivant

Olivier De sépibus

 

GIROSE

de corps à corps

Nous te cheminons, nous t’arpentons,,
nous t’harponnons, nous te survolons,
nous te traçons, nous te marquons,
nous t’explorons, te scanons,
nous te cartographions,
haletant.e.s, nous te hélons, nous t’appelons, nous t’interpellons,
nous te nommons, te personnifions et ainsi te momifions,
on te mesure, on te rationalise,
on t’objectifie, on te “sujettise»,
on te sonde, on te fouille, on te souille,
on te parle, on te dit, on te dé.finit, on te dé.limite, on te circonscrit,
on “s’intéresse” à toi,
on te désire, tu es notre notre grandeur manquante
on aimerait te com.prendre, te con.naître
on te cherche, on te veut,
on te caresse, on te pénètre
au plus profond de tes failles, de tes entrailles.
Dans l’effort on t’a gravi,
ravi.e.s et rassasié.e.s
c’est NOTRE corps puissant qui t’agit.
En.quête d’identité, on t’interroge:
Ò râcle, ô désespoir!
on te sublime, tu es notre Olympe.
Ta présence stoïque et atemporelle nous ébranle,
placide et silencieuse, tu nous réchauffes
au coeur de nos existences morcelées ou par.cellaires
… nous aussi te réchauffons en retour.
Tu nous émerveilles, tu nous révèles
à ce que nous sommes prêt.e.s à voir ou à nier
à ce que nous sommes venu.e.s chercher
Et toi, comment ça va avec la douleur?

Sofie Dubs

Les glaciers sont vivants… !

Les glaciers sont vivants !
Ils sont vivants non pas parce qu’ils s’écoulent, bougent, reculent, craquent, s’effondrent et meurent, en une lente agonie; ils sont vivants par la qualité du regard que nous posons sur eux et par l’attention que nous leurs portons. L’attention à ce que nous éprouvons profondément, la manière émotionnelle dont nous vivons notre rencontre avec un glacier. Mais aussi l’attention sous forme de soins que nous lui prodiguons, en évitant de le défigurer, d’y abandonner nos déchets et nos excréments, en évitant de l’exploiter avec des remontées mécaniques et des pistes travaillées aux bulldozers, ou des grottes de glace taillées à la hache .
Les glaciers sont vivants !
Par le chemin que nous parcourons ensemble sur cette terre en une interconnexion vitale.
Je n’avais jamais imaginé qu’un glacier puisse être une entité à part entière. Un élément singulier d’un monde particulier, la haute montagne. Comme nous le sommes nous même.
De cette rencontre peut naitre une expérience sensitive d’une grande beauté, d’une intensité prodigieuse. Et cette relation nous rend plus vivant, plus conscient de l’environnement naturel qui nous entoure, à nos compagnons. Par la qualité de cette mise en relation sensorielle nous pouvons ressentir faire partie d’un tout et que ce tout mérite attention, respect et protection.
En ce début d’automne, je suis là. Au milieu du glacier de la Girose.
Je me déplace doucement. J’écoute, je m’arrête et je regarde. Je me pose et je médite. Je regarde surtout mes compagnons. Et ils sont beaux mes compagnons de montagne. Je les remercie infiniment de m’avoir invité, initié à un merveilleux voyage sensoriel et émotionnel, au coeur d’un monde qui est pourtant le mien.
Natacha marche précautionneusement en regardant, écoutant le glacier avec sa caméra.
Laurent s’immisce dans les fentes et cherche un lieu propice pour être, pour vivre à l’intérieur du glacier une expérience d’une corporalité singulière.
Sophie a dansé face au soleil puis s’est allongée comme épousant la forme du glacier qui s’écoule. Dans sa main levée vers le ciel un morceau de glace fond et s’écoule goutte à goutte.
Olivier, lui, est debout. Il a entonné un chant, une mélopée douce et grave, qui vient de loin, du plus profond de son envie de rencontre, de son intuition de cette rencontre particulière avec le glacier.
Le cadre est somptueux. L’instant magique.
Il n’y a aucune présence humaine, pas de téléphérique, de piste ou de bulldozer, nous sommes seuls, le glacier et nous, en une déroutante intimité.
J’observe mes compagnons, le glacier, et leurs beautés conjuguées me comblent, me bouleversent. Ma carapace d’homme, de guide et de technicien de la montagne s’est comme dissoute, évaporée.
Je ne serais jamais plus pareil.
Depuis ce jour là, je sens ma manière d’être en montagne changer, ma relation aux glaciers, aux sommets, aux rivières, à la montagne dans son ensemble, et aux autres se modifie doucement. Je ne vois plus mon métier de guide de la même manière.
Peut être vais-je arriver a me débarrasser définitivement de mon carcan de techniques et de certitudes, mon langage sécuritaire et un nécessité, une injonction à faire, à réaliser.
Une autre vie commence…
Cette expérience émotionnelle qu’il est possible de vivre en haute montagne est une composante de cet art de gravir des montagnes, de s’élever vers le sommet qui me passionne. L’état de nature, la Wilderness est un élément incontournable de l’alpinisme qu’il est indispensable de valoriser et de protéger. À La Grave, le nouveau projet de téléphérique (le T3) va dénaturer définitivement cette notion de sommet pour le Dôme de la Lauze, modifier la fréquentation et l’aménagement du glacier de la Girose. C’est une atteinte à l’alpinisme qui a récemment été déclaré Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité par l’UNESCO !
Mais comment faire comprendre aux habitants de La Grave l’importance culturelle de nos activités en montagne et la nécessité de renoncer à cet équipement très lourd de conséquences ?
Paulo Grobel.
*« les glaciers sont vivants » est également le titre d’un livre de Robert Vivian aux éditions Denoêl.

 

La glace est mon sujet d’étude
Je regarde sa texture, sa forme, sa couleur,
ses défauts
Je la palpe, je la modèle, je la déforme, je la fais fondre,
La glace a toujours été là, elle a accueilli l’humain et elle lui survivra,
Elle est étudiée depuis le début des sciences,
et pourtant…
elle reste mystérieuse en bien des points.
Un matériau si commun et si unique à la fois, semblable à beaucoup d’autres mais différent de tous.
Elle me raconte son histoire passée, et celle à venir…
La glace a piégé le climat d’hier,
et celui de demain va le transformer.
Depuis quelques temps, la glace a pris la couleur, la texture, la forme de mes réflexions philosophiques.
Semblable à beaucoup et unique à la fois…
Dure et solide, et en même temps
il suffit de quelques degrés de plus…
Si présente et pourtant si inconnue…
Qu’est-ce que la glace dans l’histoire de l’Univers?
Qu’est-ce qu’un glacier dans l’histoire de l’Univers?
Et qu’est-ce que l’homme, la femme, l’humain dans tout ça?

Maurine Montagnat

Les grands glaciers? Je ne les ai jamais vus, ils ont toujours disparu
Disparus depuis longtemps, j’ai vu des images, mais ils ont disparu
Moi en tant qu’enfant, j’aurais bien aimé les contempler, les voir plus grands
Qui ne fondent pas, pas tout noir avec quelques traces de blanc
Pas tout noir en train de fondre…
Pourquoi?
Pourquoi fondent-ils si vite?
Parce que les humains n’ont pas su les accepter dans leur milieu
Ils s’y sont posés, et n’ont pas tout le temps respecté la nature qui les entourait
Ne l’ont pas assez admirée…
Pourtant, elle nous offre tellement!
Tellement de confort, elle est tellement jolie cette nature
Pourquoi la détruire ainsi quand on sait…
Qu’à cause de ça…
On va peut-être disparaitre?

Swan Robin, 12 ans.
Fille de Maurine Montagnat,
présente lors de la performance le dimanche 13 septembre
qui a improvisé cette parole après que chaque personne du collectif ait dit son texte.